Les villes françaises cachent des trésors insoupçonnés, comme en témoigne la petite ville d’Espalion dans l’Aveyron. Malgré les quelque 200 kilomètres qui séparent cette charmante bourgade de la mer la plus proche, elle abrite le plus important musée des scaphandriers pieds-lourds. La raison ? Un enfant du cru inventa, en 1863, le premier prototype de ce qui allait devenir l’appareil respiratoire utilisé aujourd’hui par tous les plongeurs sous-marins…

La silhouette du Vieux-Palais se dessine peu à peu à travers la surface de la rivière, alors que le corps dans la vase du fond de la rivière, à – 4 mètres de profondeur, je m’approche d’une arche du Pont-Vieux. Le débit de l’eau est régulé et la température de 14°C, très acceptable. 

Le Pont-Vieux d’Espalion, présent depuis le XIe siècle, maintes fois remanié, était autrefois doté de trois tours et d’un pont-levis

Le Musée du scaphandre d’Espalion, invité d’honneur de la 41ème édition du Festival Mondial de l’Image Sous-Marine (FMISM) de Marseille, en 2014, y avait exposé une trentaine de pièces de ses collections, scaphandres, gravures, livres à cartonnages, photographies, partitions, sur le thème « Mer et utopie ». C’est cette belle exposition, avec son intrigante association de matériel de plongée « vintage » et d’envolée vers l’imaginaire des profondeurs, qui m’a donné envie de venir à Espalion pour découvrir le Musée et m’immerger dans les eaux du Lot, muni de mon appareil photo.

« Quel beau symbole que ce monument de pierre, bâti sur le roc qui émerge fièrement au bord de l’eau qui s’écoule ! Solide, svelte, élégant même, avec ses croisillons aux moulures simples mais soignées, ses larges fenêtres, ses arceaux, ses corniches et ses dentelles d’arabesques, le Vieux-Palais était hier encore, le symbole de la France, la nation paysanne et robuste, cachant sa forte ossature sous un visage gracieux, un esprit ouvert et enjoué : l’esprit gaulois».

Un plongeur sous les murs du Vieux-Palais, en hommage au sieur Rouquayrol, inventeur du régulateur de plongée

Avec Nicolas Liautard, mon guide, président du club de plongée « Rouquayrol et Denayrouze », c’est un véritable bond de 4 siècles dans l’histoire que nous vivons. Bernardin de la Valette, gouverneur d’Espalion, fut à l’origine de la construction de ce bâtiment. Alors que je suis à la recherche de quelques vestiges, parmi les alluvions déplacés de l’amont au cours du temps, je tombe sur un énorme monolithe de plus de 4 mètres de long et presque 1 mètre de diamètre, à moitié enfoui dans les sédiments. La visibilité n’est pas extraordinaire. « Une colonne, en marbre ou en granit ?», me dis-je. J’approche ma main, touche cette superbe pièce archéologique du doigt pour en apprécier la texture et, oh surprise, elle se met à bouger. Je peux même aisément la faire rouler sur le sol. Je décide, avec un petit rictus de déception ressemblant à un sourire, de soulever ce trésor à bout de bras tel un haltérophile, pour le projeter plus loin. Ce tronc d’arbre, gorgé d’eau depuis des décennies voire peut-être des siècles a une flottabilité quasiment neutre. N’est pas archéologue qui veut ! J’ai même aperçu de nombreux poissons se moquer de moi. Après une petite heure sous l’eau, avec Nicolas nous sortons de la rivière, sur la rive opposée à celle du Vieux-Palais planté sur le Roc Magnus, près d’une superbe statue en bronze de scaphandrier de deux mètres, symbole d’une fabuleuse histoire née ici près du Pont-Vieux, dans l’Aveyron. Sous son casque, il semble sourire aussi.

Après la plongée, une visite à la statue du scaphandrier s’impose. En arrière-plan, le Vieux-Palais

Etape du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle

Espalion, cette petite ville de la vallée du Lot, est connue pour être l’une des étapes du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Après l’austérité de l’Aubrac, c’est « le premier sourire du midi ». Et, bien que située à plus de 200 km des côtes maritimes les plus proches, elle a été en 1864 le berceau du premier scaphandre autonome doté d’un régulateur de pression, annonciateur de la plongée autonome du XXème siècle. En effet, « c’est par un transfert de technologie du domaine de la mine à celui de la mer, qu’Espalion s’est rattachée àl’histoire du scaphandre », m’explique Muriel Peissik, Chargée des relations extérieures de l’Association du Musée. Voici comment l’histoire du scaphandre s’enrichit d’une problématique née du terroir : L’Espalionnais Benoît Rouquayrol (1826-1875), ingénieur des mines à Decazeville, à quelque 60 km d’Espalion, mit au point en 1863 un appareil respiratoire pour sauver les mineurs pris dans les coups de grisou. Mais le principe du régulateur à membrane, objet d’un brevet en 1860, était amphibie de conception. Il faut savoir que les houillères pouvaient être inondées ! L’appareil Rouquayrol fut adapté dès 1864 pour le domaine sous-marin, dans lequel le lieutenant de vaisseau Auguste Denayrouze (1837-1883), lui aussi habitant d’Espalion, entrevoyait un vrai débouché commercial. Les deux hommes s’associèrent : « Un tandem qui n’est pas sans rappeler celui de Cousteau-Gagnan » (inventeurs du détendeur de plongée moderne – NDLR), me fait remarquer mon guide. La société Rouquayrol-Denayrouze, qui a complété l’appareil plongeur de différents accessoires, l’a diffusé avant la fin du siècle, à plus de 1000 exemplaires, en Occident dans les Marines nationales européennes et américaines, auprès d’établissements de travaux hydrauliques, mais aussi en Orient, pour la pêche aux éponges, aux huîtres et au corail. 

Le régulateur inventé par Benoît Rouquayrol qui, avec l’aide du marin Auguste Denayrouze a pu le commercialiser dans le milieu des scaphandriers. Ce régulateur est à l’origine de la plongée autonome moderne

Un bond dans l’Histoire

Le Musée du Scaphandre, situé dans le cadre exceptionnel qu’est celui de l’église Saint Jean-Baptiste du XVème siècle (qui abrite également le musée d’arts et traditions populaires Joseph Vaylet), a été créé en 1980, ex-nihilo mais après 5 années de recherche, en hommage à ces deux inventeurs enfants du pays. Bernard Piel, dernier fabricant de scaphandres leur ayant succédé, a fait un don fondateur pour le musée, celui de l’appareil Rouquayrol-Denayrouze conservé par sa société. Après avoir servi à de nombreuses démonstrations de plongée, notamment avec le plongeur archéologue Robert Sténuit et Jean-Michel Cousteau (fils du célèbre Commandant – NDLR) qui ont été filmés, il a été classé monument historique, par l’arrêté ministériel du 2 octobre 2006.

Les collections du Musée rassemblent aujourd’hui près de 400 pièces qui permettent une plongée dans l’aventure de la pénétration sous-marine, des origines à nos jours et dans l’iconographie qu’elle a suscité. Associatif, le musée est géré depuis 2008 par le Conseil départemental, en partenariat avec l’Association Musée Joseph Vaylet – Musée du Scaphandre et intégré au réseau des musées de l’Aveyron. 

L’entrée du musée des scaphandriers, avec sa tourelle de plongée COMEX

Un musée des scaphandriers

A l’extérieur, côté boulevard, « Barbarella », une tourelle de plongée orange fluo de 3 tonnes, née en 1969 chez « COMEX », signale ce musée si inattendu pour le touriste néophyte. Elle habille, de façon très contemporaine sa façade néogothique du XIXème siècle. Cette superbe machine est une sorte d’ascenseur, pressurisé à 20 bars, utilisé dans les forages pétroliers jusqu’à 200 mètres de profondeur. 

Parcourant les salles du musée, je trouve une pléiade de scaphandres historiques et contemporains, des reconstitutions, des maquettes, un petit sous-marin ainsi qu’une grande variété d’équipements subaquatiques, mais aussi des objets, des tableaux et des photographies tel le « Casque à vapeur » de Fred Mella (1969) qui a photographié Georges Brassens avec sa pipe dans un casque Galeazzi. 

Les casques de scaphandriers, symboles de la saga de l’exploration sous-marine

Je découvre avec ces scaphandres une fabuleuse galerie de portraits. Pour certains appareils de plongée du musée, un panneau conçu en partenariat avec l’Institut National de la Propriété Industrielle propose des informations sur le brevet d’invention qui les sous-tendent, avec une notice historique et technique. Je rêve devant ces fascinantes machines à plonger nées du savoir et de l’ingéniosité d’inventeurs souvent visionnaires. Je retrouve le « Masque à piques » de Léonard de Vinci (reconstitution d’après un dessin), dont l’allure fantastique avait  beaucoup étonné les visiteurs du FMISM à Marseille. 

Le masque à piques imaginé par Léonard de Vinci. Les piques étaient censées protéger le plongeur des “monstres marins”

Je m’étonne devant l’Engin de Lethbridge (représenté par une superbe maquette au tiers), datant de 1715. Malgré sa conception pourtant très rudimentaire, il a permis à son inventeur de récupérer de véritables trésors dans des cargaisons englouties de la Compagnie des Indes orientales.

Autre œuvre marquante des collections du musée que celle de la reconstitution du scaphandre inventé en 1797 par Karl Heinrich Klingert, dont les yeux de verre et les deux tuyaux émergeant d’une partie cylindrique qui surmontent un habit de cuir bordé d’une frise de trèfles, renforcent l’étrangeté de l’objet. Simple et raffiné à la fois. N’oublions pas que, jusqu’au XIXème siècle, les scaphandriers avaient une forte appréhension du milieu marin et leur équipement était censé les en protéger. D’ailleurs, dans l’imaginaire qu’il véhicule, « le scaphandrier est un héros, sauveteur ou chercheur de trésors. Son scaphandre, véritable armure, fait de lui un chevalierdes mers », commente Muriel Peissik. 

L’épopée des scaphandriers a longtemps fait fantasmer le public sur les trésors engloutis dans les épaves

Je contemple tout un groupe de pieds-lourds de différents pays, harnachés de leur lourd équipement avec des casques à 3 ou 12 boulons et auquel Rouquayrol et Denayrouze avaient, en 1864, voulu donner une autre alternative avec un simple appareil respiratoire à embout buccal. En fait, ils retournent à un équipement complet conçu pour travailler sous la mer, celui du scaphandre des bords du Lot, de Nemo. Il y a tout un stand pour raconter leur histoire,  réservoir haute ou basse pression pour le régulateur, variation du masque « groin » au casque à 3 boulons puis à crochet (celui de Tintin), vers la fin du siècle. En regard du stand Rouquayrol et Denayrouze, voici celui dévolu à la plongée du XXème siècle, qui m’est beaucoup plus familier : combinaison à volume constant, équipements russes et « Comex » pour grandes profondeurs, scaphandre Dräger à recycleur, petit sous-marin humide Havas…

Détail du régulateur Rouquayrol – Denayrouze

Le régulateur, ancêtre du plongeur moderne

Au cœur du musée, l’original du « réservoir régulateur » ou « poumon artificiel » aveyronnais, « la relique » comme l’avait appelée Jean-Michel Cousteau, est mis en exergue dans une vitrine, où je m’arrête devant un buste de Jules Verne. En effet, celui-ci, contemporain de l’invention, avait remarqué l’appareil aveyronnais à l’occasion de l’Exposition universelle de 1867 à Paris, où il avait reçu une médaille d’or. Dans « Vingt Mille Lieues sous les mers »,appelé à devenir un best-seller mondial, il en équipe Nemo, le célèbre capitaine du Nautilus, qui s’est juré totale indépendance sous les mers, et son équipage : « Nous étions restés muets, ne remuant pas, ne sachant quelle surprise, agréable oudésagréable,nous attendait » (1869). Dans le sillage de cet écrivain, la fascination qu’exerce sur les esprits le monde sous-marin, ouvre la voie à une abondante création dans nombre de domaines : littérature populaire et science-fiction, cinéma, illustration, bande dessinée, chanson, dont je trouve des échos dans les collections du musée. 

Les scaphandriers du Capitaine Nemo dans le roman de Jules Verne “20 000 lieues sous les mers”

Au centre de la pièce, une œuvre contemporaine m’attire : « Masque-Ernst : médusée » de l’artiste plasticienne Rafaële Ide. Elle appartient à la série « Némotecknic » réalisée en 2005 en relation avec le centenaire de la naissance de Jules Verne. De multiples tuyaux et fils électriques s’emmêlent autour d’un masque de sablage, devenant ainsi un casque de plongée, où apparaît le regard de l’artiste médusée par l’effroi des profondeurs et les rencontres insolites. La fiction n’est plus très loin.

Toutes ces œuvres m’interpellent sur ce mystérieux personnage, conducteur de rêves, qu’est le scaphandrier, coupé du monde dans sa bulle. Avec cette modernité qui s’appuie sur les socles fondamentaux du passé, je plonge ici dans les profondeurs du temps en développant mon imaginaire. Le sérieux mêlé à un zest d’humour. Même Salvator Dali, me raconte Muriel Peissik, l’excentrique Catalan, a revêtu un scaphandre en 1936 à Londres, lors de la première Exposition internationale du Surréalisme, pour « plonger jusqu’à la profondeur du subconscient».

Un scaphandrier au travail au début du XXe siècle

Une époque mais, quelle époque. Celle des vrais aventuriers qui ont su ou tout au moins tenté de franchir la frontière de la surface pour explorer les fonds sous-marins et ainsi, permettre à d’autres de flirter avec les abysses.

« Il était juste de rappeler d’une façon aussi attrayante les péripéties de ces purs terriens qui ouvrirent les profondeurs marines à l’aventure et à la science. »

Comme le plongeur qui a su prendre son autonomie en coupant son cordon ombilical, je souhaite au Musée du scaphandre de prendre son envol à dimension internationale pour s’élever encore plus haut dans l’espace et nous faire rêver longtemps…

Juste avant mon départ de cette magnifique région, je suis invité par le vignoble d’Estaing, à déguster un vin qui a séjourné une année à -20 mètres au fond du Lac de Castelnau. Comme ce breuvage aux cépages connus (Fer N, Gamay N, Cab. franc), vieillit plus vite sous la surface, je le trouve plus rond et plus fruité. Juste pour le plaisir !

L’ivresse n’est donc pas toujours liée à la profondeur et puis, il y a plus de 80% d’eau dans le vin…

Tribuere suum cuique – « Rendre à chacun ce qui lui est dû » (Cicéron)

Texte et photos Henri Eskenazi

Magie nocturne sur le Pont-Vieux

A lire :

  • « L’Invention Rouquayrol-Denayrouze, de la réalité à la fiction » de Muriel Peissik, Ed. Musée Joseph Vaylet, 2004
  • « Le Musée du Scaphandre », de Robert Sténuit, Ed. Ass. Musée-Bibliothèque Joseph Vaylet, 1990
  • « Trois inventeurs méconnus », de Michel Jacques (Cdt), Ed. Musée Joseph Vaylet, 1980
  • « Une histoire de la plongée », de Alain Foret et Pierre Martin-Razi, Ed. Gap, 2013
  • « De Vingt mille lieues sous les mers à SeaOrbiter », de Jacques Rougerie, 2010

A voir à Espalion :

  • Le Musée Joseph Vaylet, où se trouve le Musée du scaphandre
  • Le château de Calmont d’Olt
  • L’église de Bessuejouls
  • L’église de Perse
  • La librairie « Point Virgule », 2 Rue Saint-Antoine 05 65 44 91 41

A écouter :

Programmation de musique de chambre organisée par l’Association pour la Renaissance du Vieux-Palais d’Espalion 05 65 51 11 50

Où manger ?

« Le monde de Laëtitia » 4 Rue du Dr Trémolières 05 65 48 44 17

« La Tour » 3 Place Saint-Georges 05 65 44 03 30

« Le Méjane » 8 Rue Méjane 05 65 48 22 37

Où loger ?

« Vieux-Palais », Gîtes de France 05 65 75 55 66

A visiter en Aveyron :

  • L’Aubrac
  • Le viaduc de Millau
  • Les Chemins du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle
  • La ville de Conques
  • Le village d’Estaing
  • Le trou de Bozouls

Pour en savoir plus :

www.museeduscaphandre.comwww.tourisme-espalion.fr

Remerciements :

  • Le Conseil Départemental de l’Aveyron
  • La Municipalité d’Espalion
  • Lucien Cabrolié, fondateur du Musée du Scaphandre 
  • Sylvie Lacan, adjointe à la culture, Mairie d’Espalion
  • Muriel Peissik, Chargée des relations extérieures de l’association du Musée du Scaphandre, (muriel.peissik@museeduscaphandre.com)
  • Association pour la Renaissance du Vieux-Palais (Gîtes de France)
  • Club de plongée d’Espalion (espalion-plongee@wanadoo.fr)
  • Christine Miquel du groupement des Vignerons d’Olt, pour la dégustation du vin (06 38 28 45 27, al.miquel12@wanadoo.fr)

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